Fiscalité et comptabilitéjanvier 10, 2019

Principes comptables généralement reconnus et symétrie de traitement en droit fiscal

Par Me Julie Gaudreault-Martel, Avocate, associée BCF s.e.n.c.r.l.

La Cour du Québec, sous la plume de l’Honorable juge Daniel Bourgeois, a récemment rendu une décision dans l’affaire Banque Nationale du Canada c. Agence du revenu du Québec(1), qui portait sur la taxe sur le capital et la taxe compensatoire des institutions financières. Bien que la taxe sur le capital ait été abolie de façon progressive à compter de 2005 (jusqu’à son abolition complète en 2011) et que la taxe compensatoire, eu égard au capital versé, ait été abolie en 2013 pour les institutions financières, cette décision demeure intéressante en ce qui a trait aux commentaires sur la symétrie de traitement en droit fiscal et l’interprétation des principes comptables généralement reconnus («PCGR»).

Nous soulignons que cette décision visait quatre dossiers, dont ceux de la Banque Nationale du Canada («BNC») et ceux de la Banque Laurentienne du Canada («BLC»), qui se sont vus regrouper suite à une ordonnance de la Cour.

La BNC a fait l’objet d’une vérification fiscale pour les années d’imposition 2008 à 2010, alors que la BLC a fait l’objet d’une vérification pour les années 2007 à 2010. Pendant ces années, les deux banques détenaient des actions privilégiées de leurs filiales («Actions»). Pour les années visées, les Actions ont été présentées à l’actif du bilan des banques BNC et BLC («Banques»).

En ce qui a trait aux filiales, les Actions ont été présentées au passif de leur bilan, conformément aux PCGR. Ce faisant, les filiales n’avaient pas inclus la valeur des Actions dans le calcul de leur capital versé aux fins de la Partie IV (taxe sur le capital).

L’article 1131 de la Loi sur les impôts(«Loi» ou «LI») mentionne qu’une société ayant un établissement au Québec à un moment quelconque d’une année d’imposition doit payer pour cette année une taxe sur le capital versé montré à ses états financiers pour l’année. L’article 1130 LI précise que les «états financiers» sont ceux fournis aux actionnaires d’une société et préparés conformément au PCGR, ou lorsque de tels états financiers n’ont pas été préparés ou n’ont pas été préparés conformément aux PCGR, de tels états financiers s’ils avaient été préparés conformément aux PCGR.

Ainsi, le contribuable assujetti doit donc payer une taxe sur son capital versé montré à ses états financiers qui sont préparés conformément aux PCGR et le calcul du capital versé variera s’il s’agit d’une institution financière ou non.

Il s’agissait donc de déterminer si, dans le calcul du capital versé du détenteur des actions privilégiées (à savoir la BNC ou la BLC), cette dernière pouvait déduire la valeur desdites Actions émises par la filiale visée.

En l’espèce, la présentation des Actions aux états financiers n’a pas été remise en question par la défenderesse l’Agence du revenu du Québec («ARQ») autant pour les filiales que pour les Banques. De plus, l’ARQ a admis que la présentation comptable était conforme aux PCGR.

Pour chacune des années en litige, les deux Banques ont réclamé la «déduction pour placements» relativement aux Actions. En effet, la Loi prévoit qu’une société peut déduire dans le calcul de son capital versé, aux fins de la taxe sur le capital, la valeur d’un élément d’actif qui est «une action du capital-actions ou le passif à long terme d’une autre société qui est visée par le titre II de la Loi et à laquelle la société est liée». Ces dernières ont considéré que les Actions se qualifiaient à ce titre et la déduction a donc été réclamée.

Suite à sa vérification, l’ARQ a refusé la déduction pour placements puisque les filiales n’avaient pas inclus la valeur des Actions dans leur calcul du capital versé. Selon l’ARQ, il fallait obligatoirement s’attarder à ce qui avait été déclaré par les filiales à l’égard de ces Actions. Puisque les Actions constituaient du passif pour les filiales, il ne s’agissait pas d’«actions du capital-actions» pour les Banques.

La Cour fait d’abord un parallèle quant à la qualification des actions de filiales aux états financiers dans les décisions de la Cour canadienne de l’impôt («CCI») et de la Cour d’appel fédérale («CAF») dans Canada c. Crédit Ford du Canada Ltée(2) et réfère également à celle de la Cour du Québec («CQ») et de la Cour d’appel («CAQ») dans SMRQ c. Crédit Ford du Canada Ltée(3).

La Cour n’a pas retenu les arguments présentés par l’ARQ et note que les Actions sont des «actions du capital-actions» des filiales selon les PCGR applicables. Elle note que le législateur a expressément fait appel aux principes comptables pour déterminer le capital versé aux fins du calcul de la taxe sur le capital. La Cour note également que les décisions dans Crédit Ford ne peuvent être interprétées comme signifiant que les Actions ne sont pas du «capital-actions» pour les fins de l’application de l’article 1141.2.1 de la Loi. Les Actions sont du «capital-actions» au sens légal et comptable. Les modifications aux PCGR n’ont pas eu pour effet de modifier les caractéristiques légales et corporatives des Actions, mais seulement de modifier leur présentation comptable dans le bilan (elles sont dorénavant présentées sous la rubrique «passif» au lieu de «avoir à l’actionnaire»).

Le juge est d’avis que la disposition en cause est claire et ne souffre d’aucune ambiguïté. De plus, il effectue une analyse contextuelle et note que la disposition en cause ne pose pas comme condition, à la déduction d’un élément du capital versé d’une société, que cet élément soit inclus dans le capital versé d’une autre société. Le législateur aurait pu le dire clairement si tel avait été le cas, comme il l’a fait pour d’autres dispositions de la Loi. Il conclut donc qu’à la suite du changement des PCGR, le législateur n’a pas jugé bon de modifier la Loi en conséquence.

Enfin, il est intéressant de noter que le juge mentionne qu’à moins de dispositions législatives expresses, l’«effet miroir» n’est pas automatique et que la symétrie de traitement n’est pas «une règle» en droit fiscal.

Finalement, la Cour a accueilli les appels et elle a donc accordé la déduction pour placements réclamée par les Banques en vertu de l’article 1141.2.1 de la Loi.

  1. 2018 QCCQ 8158 (2 novembre 2018). Voir également la décision dans Banque Laurentienne du Canada c. Agence du revenu du Québec, 2018 QCCQ 8157 (2 novembre 2018).
  2. 2006 CCI 441 (4 août 2006) et 2007 CAF 225 (11 juin 2007).
  3. 2012 QCCA 700 (12 avril 2012).
Me Julie Gaudreault-Martel
Avocate, Associée BCF
Avocate, Associée chez BCF s.e.n.c.r.l.
Back To Top